
Hier soir, lors des débats sur la réforme constitutionnelle, j'ai défendu un amendement pour supprimer l'article 2 sur la déchéance de nationalité.
Si la définition d’une peine à la symbolique forte, susceptible de signifier solennellement l’exclusion de la communauté nationale de terroristes ayant agi contre la Nation est compréhensible et même souhaitable, la déchéance de nationalité pose problème car, en pratique, seules les personnes disposant d’une autre nationalité, en plus de la nationalité française, seraient susceptibles d’être condamnées à cette déchéance nationale.
Je considère que cette déchéance se justifie pour des personnes ayant acquis par demande la nationalité Française. Attenter à la vie de la Nation traduit en effet une insincérité dans la démarche de naturalisation effectuée. Demander la nationalité française suppose en effet une volonté d’appartenance à la communauté nationale et une adhésion aux valeurs de la République incompatibles avec la commission ou la participation à de tels crimes.
Mais étendre la déchéance de nationalité aux personnes nées Françaises semble en totale contradiction avec le principe inscrit dans l’article premier de notre constitution, qui dispose que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». D'où mon opposition à cette disposition.
Et c'est pour ces raisons que j'ai souhaité proposer par amendement la suppression de cette disposition, mais aussi un autre amendement proposant de substituer la déchéance de citoyenneté à la déchéance de nationalité. La déchéance de citoyenneté permet en effet d'atteindre les mêmes objectifs emblématiques visés par le texte du gouvernement, mais permet d’en éviter les conséquences négatives : elle n’entraîne aucune discrimination entre les ressortissants de notre pays, puisqu’il s’appliquerait aussi bien aux mononationaux qu’aux multinationaux. Cette disposition n'a malheureusement pas été retenue.
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Voici le texte de l'intervention de Barbara Pompili présentant son amendement de suppression de la déchéance de nationalité :
"La déchéance de nationalité pose problème car son application risque de ne pas être la même selon que les personnes condamnées pour terrorisme auraient une ou plusieurs nationalités, et parmi ces dernières, selon qu’elles seraient nées françaises ou qu’elles le seraient devenues par naturalisation.
Certes le texte qui nous est soumis ne distingue plus entre les Français, mais ce n’est pas parce qu’on ne mentionne pas une difficulté juridique qu’elle disparaît comme par enchantement. Si nous adoptions tel quel cet article, la question de la différence de traitement entre les Français ne possédant que la nationalité française et les plurinationaux nés Français continuerait de se poser.
En vérité, inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution, c’est chercher à se prémunir d’une éventuelle reconnaissance par le Conseil constitutionnel du principe fondamental interdisant la déchéance de nationalité des binationaux nés Français. S’agissant en effet des personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de quinze ans, cette déchéance est déjà possible, et justifiée : attenter à la vie de la nation quand on a sollicité son entrée dans la communauté nationale, c’est trahir une parole, c’est rompre une loyauté envers les valeurs de la République.
Mais étendre la déchéance de nationalité aux personnes nées françaises, quand bien même elles disposeraient d’une autre nationalité, parfois sans l’avoir demandé, cela serait méconnaître le principe d’égalité inscrit dans l’article 1er de notre Constitution.
Face au terrorisme, nous unir autour d’une mesure symbolique forte a du sens. Mais quand le symbole choisi nous divise, interpelle nos consciences, cela interroge.
C’est la raison pour laquelle Denis Baupin proposera tout à l’heure un article instaurant une peine d’indignité nationale, forte sur le plan symbolique et réellement applicable à toutes les personnes condamnées pour terrorisme. Et c’est la raison pour laquelle je vous appelle, chers collègues, à voter le présent amendement de suppression de l’inscription de la déchéance de nationalité dans notre Constitution."
Voici l’avis du Gouvernement sur les différents amendements portant sur la suppression de l'article 2 :
" M. Manuel Valls, Premier ministre. J’ai déjà donné la position du Gouvernement il y a un instant. Je serai donc bref. Je veux rappeler qu’il existe des personnes expulsables, mais qui ne peuvent être expulsées en raison de conventions ou d’un avis de la CEDH et qui sont assignées à résidence. Dans quelques années, la France, comme d’autres pays européens, sera amenée à expulser des terroristes ayant purgé leur peine, même si, et nous le souhaitons pour des raisons évidentes, il ne s’agira que d’une poignée de personnes.
Chacun l’a bien à l’esprit, cette disposition ne concerne que des terroristes, condamnés pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. D’aucuns ont utilisé le terme « stigmatiser », très en vogue, mais il s’agit bien là de terroristes ! La seule différence que je fais, le seul élément inégalitaire que j’accepte – parce que l’article 1er de la Constitution s’applique pleinement et à toutes les lois – c’est entre les terroristes et les Français. Voilà la différence fondamentale ! En faisant ce choix, conforme à la tradition républicaine de la France, nous disons que c’est la Nation qui accomplit cette séparation, et non les terroristes qui l’imposent.
C’est pour cela que nous défendons l’article 2, dans la nouvelle rédaction que nous proposons.
Par ailleurs, en tant que Premier ministre, je suis toujours gêné quand le Président de la République est mis en cause dans cet hémicycle. Non pas que le Président de la République soit au-dessus de tout – comme ses prédécesseurs, il est soumis à une forte critique, et c’est le jeu de la démocratie – mais ceux qui m’ont précédé dans cette fonction comprendront parfaitement que je réponde à ceux qui ont laissé entendre que ce dont nous débattons ne correspond pas à ce que la Président de la République a dit au Congrès.
C’est seulement trois jours après les attentats que le Président de la République s’est adressé au Parlement réuni en Congrès à Versailles. Il y a annoncé non seulement les mesures de soutien aux forces de l’ordre, de sécurité, et à nos armées, mais aussi cette révision constitutionnelle. C’est en cela que cette révision n’a rien à voir avec une réforme constitutionnelle classique, préparée par une commission spéciale, en général présidée par un ancien Premier ministre, un sage ou un constitutionnaliste. En cherchant le rassemblement et l’unité, le Président adressait un message aussi bien au Parlement qu’à la Nation tout entière. Il était alors pleinement dans son rôle de chef de l’État.
Ensuite, comme cela avait été annoncé, le Conseil d’État a été consulté. Monsieur Hamon, la parole du Président de la République ne se divise pas ! Celui-ci s’est exprimé le 16 novembre, puis le 23 décembre, en conseil des ministres, et il y a quelques jours, lorsque j’ai présenté les projets des textes de lois qui accompagneront les articles 1 et 2. C’est cet engagement, cette parole, ce serment que je défends !
Les amendements de suppression de l’article 2, tout comme ceux qui visent à substituer à l’idée de déchéance de nationalité une autre forme de déchéance ne correspondent pas à l’engagement du Président de la République. C’est le rôle du chef du Gouvernement que de dire que l’on ne peut jouer avec la parole présidentielle. C’est ce que j’ai voulu faire, en rappelant encore une fois cet engagement. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) "
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