"Il faut entrer dans une culture rationnelle du risque" tribune dans le JDD

"Il faut entrer dans une culture rationnelle du risque" tribune dans le JDD

Ce jeudi 30 avril, j'ai publié dans le Journal du Dimanche une tribune appelant à ne pas attendre les catastrophes pour agir mais à intégrer la culture du risque aux décisions économiques ou politiques.


La crise du Covid 19 aura été marquée par la polémique sur le manque de masques. Cela paraît tellement évident, après coup. Les interpellations, reportages, constats divers nous apprennent comment il aurait fallu faire... mais un peu tard, car quelques mois plus tôt quasiment personne ne se souciait de cette question. 

Nous sommes tous prompts à critiquer la gestion des crises. C'est légitime dans une démocratie. Mais pourrait-on enfin se mettre à raisonner dans le bon sens? Est-on prêt à admettre que nous vivons dans un monde où le risque est omniprésent? Est-on prêt collectivement à y faire face? 

Préparer le monde d'après, c'est construire une société résiliente, qui intègre une réelle culture du risque. 

La sonnette d'alarme est régulièrement tirée sur cette absence criante de culture du risque dans notre pays. Pour n'en citer que quelques exemples, le rapport du Sénat de juin 2010 à propos de la tempête Xynthia déplorait que 'la France demeure peu sensible à des risques (qui) se reproduisent régulièrement sur notre territoire'. Dix ans plus tard, les conclusions de la mission d'information sur l'explosion de Lubrizol arrivent au même constat. Le Haut Conseil pour le Climat, dans son rapport publié il y a quelques jours, incite fortement à travailler notre résilience via une amélioration notoire de notre prévention et gestion des risques. 

Les risques sont nombreux et divers : du risque d'attentat au risque bactériologique en passant par les risques chimiques ou liés au numérique. Les réactions sont parfois extrêmes car elles se nourrissent de l'inconnu : ruée sur les masques ou les pâtes alimentaires comme on a pu le voir, ou déni total du risque comme aux premiers jours du Covid-19 où régnait globalement une certaine insouciance. 

Or, si nous ne voulons pas être dans une société de la peur ou du déni, il faut que la culture du risque imprègne l'ensemble de la société comme un fait rationnel et reconnu, qui n'est pas traité comme un objet étranger ou une affaire de spécialistes. 

Au Chili, zone côtière très sismique et donc vulnérable aux tsunamis, les populations des villes s'exercent une fois par an à fuir les espaces qui pourraient un jour être recouverts. Au Japon, les habitants sont entraînés depuis le plus jeune âge à couper le gaz et se précipiter sous une table dès les premières secousses. Et nous? Que faisons-nous en cas de catastrophe nucléaire? Alors que 66% de la population habite à moins de 75 km d'une centrale, qui sait ce qu'il doit faire si l'un des 58 réacteurs entre en fusion? Que savent les habitants proches des installations SEVESO? Qu'en est-il des millions d'habitants de zones inondables? Et pourtant les plans de prévention existent. Mais ils restent souvent l'affaire des initiés, ils sont méconnus, peu appliqués ou parcellaires. Par exemple : sur 303 communes du littoral considérées comme parmi les plus exposées au risque de submersion marine, seules 162 sont couvertes par un Plan de Prévention du Risque Littoral approuvé, soit à peine plus de la moitié. 

Le risque climatique est aujourd'hui scientifiquement reconnu. Nous savons ce qu'il faudrait faire pour y faire face et nous savons que l'inaction est dangereuse. Et pourtant nous avons du mal à mettre en place des politiques publiques suffisamment ambitieuses. Il y a toujours d'autres priorités. 

Faut-il attendre à chaque fois que la catastrophe arrive pour réagir? 

Les risques font partie de la vie. C'est tout l'intérêt d'une culture du risque largement diffusée et concertée d'y répondre de manière rationnelle et équilibrée, tout en se tournant vers l'avenir. 

Je propose ici que nous réfléchissions à la manière de l'inscrire dans nos choix, en commençant par ce que nous devons prendre en compte : 

  • la proportion du danger : le risque épidémique menace la santé de la population et génère des décès, le risque nucléaire pourrait stériliser des régions entières pour très longtemps, le risque terroriste menace à la fois les individus et les institutions... tandis que le risque d'épisodes neigeux menace nos déplacements quelques jours par an ; 
  • l'adaptation selon les territoires : en tenant compte de la volatilité des produits, le risque d'accident industriel est néanmoins plus fort dans certains territoires, le risque d'inondations ne concerne pas tous les territoires... nous devons donc conceptualiser les risques qui n'ont pas partout le même rang de priorité ;
  • l'actualisation des risques et des réponses : la généralisation du numérique génère de nouveaux dangers mais peut aussi permettre de mieux alerter et de mieux informer. 
  • Mais enfin, et surtout : l'intégration de la culture du risque aux choix que nous sommes amenés à faire. Trop souvent les décisions économiques ou politiques sont guidées par des choix de court terme : cela peut être la rentabilité, mais il s'agit aussi des réponses rapides en termes d'emploi, de développement économique, de logement... Changement climatique, perte de biodiversité, pandémies. On voit aujourd'hui à quel point cela coûte cher à toute la société de ne pas anticiper, de négliger la prise en compte plus globale des effets de long terme. 

Il est aujourd'hui vital de faire le bilan de nos politiques de prévention des risques, d'en assumer les lacunes et d'y adresser des solutions à la hauteur des enjeux humains, matériels et environnementaux. 

'Nous sommes ce que nous répétons chaque jour', disait Aristote. A l'heure de l'explosion du nombre et de la nature des risques, le raisonnement par la peur ou la politique de l'autruche ne nous mèneront nulle part. A nous de faire face, d'intégrer, d'apprendre, de répéter, et de faire en sorte que, comme le disait le même philosophe, 'l'excellence ne soit alors plus un acte, mais une habitude!'

Equipe de Barbara Pompili

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