Intervention de Barbara Pompili sur la proposition de loi visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap. Il s’agit de pouvoir défendre avec plus d’efficacité les victimes du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie et de l’handiphobie. La société inclusive que nous voulons, la société de l’égalité que nous bâtissons exige de remédier à la hiérarchisation dans les discriminations qui existe aujourd'hui : les infractions – c’est-à-dire les provocations à la discrimination, à la diffamation ou aux injures - commises en raison de l’origine ou de la religion ont une durée de prescription d’un an, alors que les mêmes infractions commises en considération du sexe, de l’identité sexuelle ou du handicap restent soumises à un délai de prescription de 3 mois. Bien entendu, si les victimes doivent pouvoir se retourner, il est aussi essentiel de maintenir l’équilibre entre un délai de prescription permettant une poursuite efficace des infractions et le nécessaire respect de la liberté de la presse. Et, puisque les journalistes ont leur propres règles et déontologie. Cette loi vise avant tout – non les journalistes - mais les particuliers qui tiennent des propos inacceptables sur Internet et via les réseaux sociaux.
Intervention de Barbara Pompili :
Monsieur le Président, Madame la Rapporteure, Chers collègues,
Lorsque cette proposition de loi a été présentée en 2011 sous la précédente législature, elle avait été adoptée à la quasi unanimité.
Car, il s’agissait - et il s’agit toujours - de remédier à une distorsion. Comme ma collègue Catherine Quéré vient de l’indiquer, cette distorsion concerne les délais de prescription au sein d’infractions de même nature par voie de presse. Les infractions – c’est-à-dire les provocations à la discrimination, à la diffamation ou aux injures - commises en raison de l’origine ou de la religion ont une durée de prescription d’un an, alors que les mêmes infractions commises en considération du sexe, de l’identité sexuelle ou du handicap restent soumises à un délai de prescription de 3 mois. Il y a donc la une hiérarchisation dans les discriminations qui n’est pas acceptable.
L’enjeu n’est pas tant la liberté de la presse que de mettre fin à une discrimination entre victimes. Il s’agit de permettre aux victimes de propos injurieux en fonction de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur handicap, de leur religion ou de leur origine de disposer des mêmes droits d’accès à la justice. Il s’agit de pouvoir défendre avec plus d’efficacité les victimes du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie et de l’handiphobie. La société inclusive que nous voulons, la société de l’égalité que nous bâtissons exige de remédier à cette situation…..
Et les exemples récents montrent combien il est nécessaire d’agir : je pense à la « une » de Minute, mais aussi aux propos extrêmes relayés sur les réseaux sociaux lors des débats sur le mariage pour tous. Je pense aussi aux petites phrases sexistes disséminées un peu partout… Et, en tant que présidente du groupe d‘études sur l’intégration des personnes handicapées, je pense bien sûr aux multiples discriminations dont sont victimes les personnes porteuses d’un handicap. Et à chaque fois, ce sont des personnes qui sont attaquées dans leur dignité. Insultées, blessées… ces femmes et ces hommes subissent ces attaques rendues publiques ! Rabaissées ou submergées par un sentiment de honte injustifié, ces situations peuvent déboucher sur des dépressions voir des suicides. Car derrière les mots, il ne faut pas oublier qu’il y a des hommes et des femmes.
Bien entendu, si les victimes doivent pouvoir se retourner, il est aussi essentiel de maintenir l’équilibre entre un délai de prescription permettant une poursuite efficace des infractions et le nécessaire respect de la liberté de la presse. Il ne saurait être question de censurer la presse ! c’est là une garantie du bon fonctionnement démocratique.
Permettre par exemple à Charlie Hebdo de publier certaines caricatures ne saurait être remis en question. Il en va du respect de la liberté d’expression.
Mais, revenons-en à cette proposition de loi. Car il s’agit avant tout de donner une possibilité d’agir aux victimes de délits commis moins par voie de presse que par internet et les réseaux sociaux.
Avec internet, l’immédiateté donne parfois un faux sentiment d’impunité. Comme si l’instantanéité, la dématérialisation ou le semblant d’anonymat pouvait être une excuse. Comme si ce format donnait le droit d’écrire tout et n’importe quoi, en fonction de l’humeur du moment… sans réflexion sur la portée des propos tenus ou leurs conséquences. Cela est particulièrement vrai avec les réseaux sociaux.
Pourtant, le mal est alors fait et les traces demeurent. Car contrairement à l’écrit, l’emprunte web reste, à l’infini. Les écrits ne disparaissent jamais mais sont - au contraire - consultables partout et tout le temps. Internet a ainsi rendu le délai de prescription de trois mois des délits de presse totalement obsolète. 3 mois c’est en effet vraiment trop court pour lancer une action contre des sites ou des blogs.
Et, disons le franchement, puisque les journalistes ont leur propres règles et déontologie. Cette loi vise avant tout – non les journalistes - mais les particuliers qui tiennent des propos inacceptables sur Internet et via les réseaux sociaux. Vous l’aurez compris, les écologistes soutiennent cette proposition de loi.
Suite à la violence des débats lors de l’examen de la loi autorisant le mariage pour tous, ma collègue sénatrice Kallioppi Ango Ela et les membres du groupe écologiste au Sénat ont d’ailleurs déposé une proposition de loi allant dans le même sens. Et ma collègue Esther Benbassa a effectué un travail admirable en tant que rapporteure sur cette loi. Car il convient de ne plus discriminer entre les discriminations !
Je le répète, permettre que des actes identiques punis des mêmes peines puissent faire l’objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse à laquelle nous sommes tous attachés.
Il pourrait par ailleurs être intéressant de regarder comment faire évoluer plus globalement cette loi de 1881 car la modifier fréquemment par petites touches n’est peut-être pas la meilleure façon de faire évoluer notre droit.
Or, d’autres adaptations sont d’ores et déjà à prévoir comme par exemple la question de l’allongement des délais de prescription concernant l'apologie par voie de presse des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.
Je vous remercie.
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