Pour une officialisation de la coprésidence paritaire : discours de Barbara Pompili

Parmi les trois textes examinés ce jeudi par l’Assemblée dans le cadre de la « niche » réservée aux propositions du groupe écologiste, Barbara Pompili a défendu une proposition de réécriture du règlement de l’Assemblée en tant que rapporteure.

Objectif : inscrire la possibilité pour les groupes de se doter d’une coprésidence paritaire dans le texte qui régit le fonctionnement de l’Assemblée.

M. le président. La parole est à Mme Barbara Pompili, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme Barbara Pompili, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministredélégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution visant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, co-signée par l’ensemble des membres du groupe écologiste.

Ce faisant, nous souhaitons simplement que la décision que le groupe écologiste a prise dès sa constitution, en juin 2012, de porter à sa tête M. François de Rugy et moi-même, soit reconnue comme légitime, et que la liberté d’organisation des groupes, censée fonder notre fonctionnement collectif, soit reconnue pleinement, et non pas seulement tolérée car, dans sa rédaction actuelle, le règlement de l’Assemblée ne connaît qu’un seul et unique président. La conséquence est double.

D’une part, le fonctionnement de cette coprésidence informelle n’est possible en pratique qu’en « bricolant », en marge du règlement – ce qui n’est pas très satisfaisant et pourrait un jour être source d’incertitude juridique. D’autre part, en droit strict, les groupes qui souhaitent être coprésidés sont contraints de s’en remettre à un pis-aller : la présidence alternée. Ainsi, au plan juridique, seul François de Rugy a été président du groupe écologiste jusqu’au 14 janvier 2013, date à partir de laquelle je lui ai succédé.

Notre proposition de résolution, qui reconnaît un droit nouveau aux groupes, sans rien imposer, permettrait donc de remédier à cette situation et, au-delà du seul groupe écologiste, de promouvoir, pour ceux qui le souhaiteront à l’avenir, une culture plus collective de l’exercice du pouvoir.

Il s’agit donc de permettre aux groupes parlementaires de se doter d’une coprésidence paritaire – j’insiste bien sur chacun de ces termes, sur lesquels je vais revenir.

J’ai entendu des collègues de l’opposition avancer que cette proposition serait de convenance, taillée sur mesure, si j’ose dire, pour une composante de l’Assemblée, comme si, finalement, les écologistes étaient des êtres politiques un peu originaux, aux modes de fonctionnement bizarres, pour ne pas dire suspects. (Sourires sur les bancs du groupe écologiste.)

Eh bien, au risque de paraître bizarre, je vous le dis : pour les écologistes, la collégialité dans les fonctions d’animation d’un groupe d’élus n’est pas une attitude de convenance, mais bien une pratique que nous souhaitons voir reconnue comme naturelle. Présider un groupe ou une organisation, c’est avant tout animer, réguler, concerter. À deux, c’est plus efficace, à deux, c’est plus apaisé. (Sourires.) Croyez-moi, chers collègues, notamment du groupe UMP, cela évite aussi bien des psychodrames et des compétitions assassines.

Au risque de paraître bizarre, je vous dis également que la parité, qui fait que notre groupe comporte autant de députés hommes que de députées femmes, n’est pas pour nous une réalité de convenance ou d’affichage, c’est la réponse à un impératif démocratique et social.

Et, pour tout vous dire, ce qui me semble franchement bizarre, c’est que, cinquante-cinq ans après la fondation de la Ve République, je sois la première femme présidente en titre d’un groupe politique à m’exprimer devant vous. Une présidente qui ne vient pas vous faire la leçon, qui ne tire aucun titre de gloire de cette bizarrerie, bien au contraire : non, une présidente qui vient demander que ce statut puisse être, pour ceux qui en feront le choix, tout simplement partagé, et que la parité puisse ne pas être une simple option résultant de situations successives mais bien une réalité permanente.

Nous ne sommes donc pas ici pour exiger de l’Assemblée qu’elle exerce une contrainte quelconque sur ses groupes et nous ne prétendons pas, nous, écologistes, donner l’exemple. Nous sommes ici simplement pour permettre à notre assemblée de démontrer qu’elle est capable d’innovation et de modernité en reconnaissant à ses groupes la liberté dans leur organisation.

Ce texte tend en effet à permettre, non à imposer. La coprésidence serait donc une simple faculté, un droit supplémentaire offert aux groupes parlementaires sur le fondement de la première phrase de l’article 51-1 de la Constitution, laquelle prévoit que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein ».

Cette proposition de résolution ne contraint donc personne et ne remet pas en cause la liberté d’organisation des groupes. Ceux-ci peuvent parfaitement continuer à être dirigés par un seul président ou – ce n’est pas interdit, à défaut d’être une réalité – par une seule présidente.

J’ajoute que cette modification du règlement ne créerait aucune différence de situation entre les groupes puisque ceux qui opteront pour la coprésidence n’obtiendront aucun droit supplémentaire par rapport aux groupes qui ne compteraient qu’un seul président. Par exemple, la coprésidence n’offrira aucun temps de parole supplémentaire, aucun droit de tirage supplémentaire.

L’avantage de ce texte est de préciser ce qu’est une coprésidence. Concrètement, chacun des deux députés à la tête de cette coprésidence aurait les mêmes prérogatives que tout président de groupe.

M. Lionel Tardy. C’est bien ce qui pose problème !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Dans mes amendements, je vous proposerai d’ailleurs de les qualifier tous deux de « président », et non de « coprésident » comme le prévoit le texte initial, cela pour bien montrer qu’il ne s’agit aucunement de « demi-présidents ».

Surtout, le texte de la proposition de résolution organise une véritable solidarité entre les deux présidents, en affirmant qu’ils « sont réputés exercer conjointement les prérogatives attachées à la présidence de groupe ». En conséquence, chacun des deux présidents de groupe sera réputé agir avec l’accord de l’autre. Et cette présomption ne pourra être renversée.

Cette proposition de résolution assure à notre fonctionnement commun la sécurité juridique indispensable, et évite le piège de l’usine à gaz. Je précise à cet égard que l’amendement à l’article 2, qui peut sembler à première vue un peu complexe, est rédactionnel.

Une seule exception à ce principe de solidarité devrait, à mon sens, être réservée : celle qui touche à la composition même du groupe. C’est pourquoi je vous proposerai dans mes amendements de prévoir que l’accord des deux présidents est expressément requis pour l’application de l’article 21 du règlement qui régit les adhésions et les apparentements à un groupe et les radiations d’un groupe.

Pour l’exercice de toutes les autres prérogatives, la présomption irréfragable de l’accord de l’autre président de groupe s’appliquerait. Je vous proposerai en effet, dans mon amendement, de supprimer les exceptions qui avaient été prévues pour tout ce qui concerne les commissions spéciales – article 31 – et pour le droit de tirage visant à créer une commission d’enquête – article 141, alinéa 2. La suppression de ces deux références permettrait d’aller jusqu’au bout de la logique de la proposition de résolution.

J’entends déjà l’objection : que se passerait-il en cas de désaccord entre les deux présidents d’un même groupe ? De notre point de vue, ce désaccord ne pourrait être réglé que par la voie politique. Il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée de s’immiscer dans le fonctionnement interne des groupes pour prétendre, à l’avance, faire face à d’éventuels différends.

M. Lionel Tardy. Alors tirez-en les conséquences et abandonnez votre proposition !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Si jamais un président faisait usage d’une prérogative attachée à la présidence de groupe en dépit de l’opposition de l’autre président, il va de soi que c’est le groupe lui-même qui serait amené à trancher le conflit.

Troisième et dernier point : cette coprésidence serait paritaire. Le texte qui vous est proposé prévoit en effet que la coprésidence serait exercée « par une députée et un député ». Cette proposition de résolution participe d’une volonté plus générale, d’ailleurs largement partagée par le Gouvernement et sa majorité, qui consiste à étendre la parité homme-femme au maximum d’échelons de décision.

La semaine dernière, la commission des lois a rejeté cette proposition de résolution.

MM. François Vannson et Lionel Tardy. Eh oui !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. J’ai compris de cette position qu’elle portait avant tout sur des défauts de clarté et de précision. Ces défauts, nous en prenons notre part, même si je ne néglige pas également le poids des conservatismes qui se sont exprimés la semaine dernière, à la surprise, je le sais – car ils, et surtout elles, me l’ont dit – de nombre de nos collègues de la majorité. Toujours est-il que ces derniers jours, ces dernières heures, nous les avons mis à profit pour préciser, pour clarifier.

Nous avons notamment, François de Rugy et moi-même, et nous n’étions pas trop de deux pour le faire,…

M. François Vannson. À quatre, c’eût été peut-être mieux !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …expliqué que l’on ne pouvait pas considérer que la coprésidence pouvait réellement fonctionner, en pratique, sans modification du règlement.

S’il est vrai que le président de l’Assemblée, assisté par les services, a cherché à faciliter le fonctionnement de notre groupe, reste que, juridiquement, il ne peut y avoir qu’un président de groupe et un seul. C’est vrai dans tous les documents officiels et institutionnels portant la signature du président. C’est vrai également pour la mise en œuvre des dispositions du règlement : seul le président peut, par exemple, demander une vérification du quorum ou s’opposer, une fois par session, au temps législatif programmé.

M. Lionel Tardy. C’est vrai qu’il s’agit là d’une priorité !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. Enfin, nous avons expliqué en quoi la présidence alternée n’est pas la coprésidence. La présidence alternée ne garantit ni la parité, ni l’exercice collectif des responsabilités. Elle n’est donc pas, à nos yeux, une réponse à la hauteur des enjeux.

En conclusion, mes chers collègues, permettre aux groupes d’être dirigés par un binôme constitué d’une femme et d’un homme constituerait à la fois une réalisation supplémentaire de l’objectif de parité en politique et une nouvelle avancée démocratique, dans la droite ligne des travaux engagés par le président de l’Assemblée. Pour ces deux raisons, je vous demande de ne pas suivre les conclusions de la commission des lois…

M. François Vannson. Quel désaveu !

Mme Barbara Pompili, rapporteure. …et d’adopter cette proposition de résolution, ainsi que les amendements que je vous ai présentés. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Equipe de Barbara Pompili

A lire également

Commenter

Close